La « querelle » du drapeau

Publié le par Yassine K.

«Henri V ne peut abandonner le drapeau blanc d'Henri IV». Rétrospectivement cette phrase signé du Comte de Chambord peut faire sourire. Pourtant, l' « affaire » qu'elle a suscité a véritablement déterminé l'Histoire de France. Comment une « banale » polémique au sujet du drapeau Français a t-elle pu revêtir d'une telle importance? Pourquoi cet épisode anecdotique symbolise la chute définitive de la monarchie en France et marque la fin d'une époque? Cette histoire (mé)connue de France nous rappelle les véritables origines de notre république.

 

Un destin, une mission

Un personnage est au centre de cette affaire: le Comte de Chambord. Intéressons nous de plus près au véritable fossoyeur de la monarchie absolu. La révolution de 1789 avait semblé sceller le sort de l'Ancien Régime de manière définitive. Malgré tout, au fil du siècle la monarchie a connu quelques barouds d'honneurs à l'image de la Restauration (1815 – 1830) puis avec Louis-Philippe Ier (1830-1848). Pourtant, jamais dans les faits nous sommes « revenus » à l'absolutisme. Qui aurait cru que celui-ci aurait pu renaître de ces cendres après la défaite fatale de Louis Napoléon Bonaparte à Sedan le 1er septembre 1870 entrainant la chute inévitable du Second Empire? Un homme a incarné cet espoir fou tout au long du XIXe siècle: le Comte de Chambord. Henri Charles Ferdinand Marie Dieudonné d'Artois, de son vrai nom, fut le dernier descendant français de la branche aînée de la maison des Bourbons. Henri, duc de Bordeaux, est le petit-fils du roi de France Charles X et le fils posthume du duc de Berry, fils cadet du roi. Et on peut dire que l'épopée d'Henri d'Artois commence en fanfare. Son père le duc de Berry a été assassiné, dans la nuit du 13 au 14 février 1820, par l'ouvrier Louvel qui voulait éteindre la dynastie des Bourbons. La duchesse de Berry, enceinte au moment du drame, accoucha sept mois et demi plus tard d'un fils, que Lamartine appela l'« enfant du miracle ». Véritable miraculé, le nouveau-né incarne la « survie » de l'Ancien Régime. Cette « mission » façonne le cours de sa vie.

 

Henri V

Après l'abdication de son grand-père après la révolution des « Trois Glorieuses » de 1830, le jeune Henri, âgé de 10 ans, fut même consacré roi de France du 2 au 7 août sous le nom d' « Henri V ». Le Parlement en décide autrement et consacre Louis Philippe d'Orléans. Cet affront marque le début d'une campagne sans merci pour le rétablissement d'une monarchie absolu plus jamais assujetti aux décisions d'un parlement illégitime. Car c'est bien sous cette bannière « Légitimistes » que les partisans d'Henri V, en exil, luttent sans vergogne contre les différents régimes en place. En février 1848, la Révolution éclate ; Louis-Philippe doit abdiquer le 24 février ; la IIe République est proclamée. Le Comte de Chambord voit dans la chute des Orléans un juste châtiment, mais s'interdit toute manifestation publique de joie. Après le Coup d'État du 2 décembre 1852 de Louis-Napoléon Bonaparte rétablissant l'Empire, le comte de Chambord intervient alors par un manifeste daté du 25 octobre 1852, dans lequel il réaffirme la « mission » qui lui a été confié, le rétablissement de la monarchie :

« Le génie et la gloire de Napoléon n'ont pu suffire à fonder rien de stable ; son nom et son souvenir y suffiraient bien moins encore. On ne rétablit pas la sécurité en ébranlant le principe sur lequel repose le trône […]. La monarchie en France, c'est la maison royale de France indissolublement unie à la nation. [...] Je maintiens donc mon droit qui est le plus sûr garant des vôtres, et, prenant Dieu à témoin, je déclare à la France et au monde que, fidèle aux lois du royaume et aux traditions de mes aïeux, je conserverai religieusement jusqu'à mon dernier soupir le dépôt de la monarchie héréditaire dont la Providence m'a confié la garde, et qui est l'unique port de salut où, après tant d'orages, cette France, objet de tout mon amour, pourra retrouver enfin le repos et le bonheur »



Le drapeau blanc, un symbole

Conscient de ne plus laisser passer sa chance, la défaite de Sedan de 1870 apparaît pour le Comte de Chambord comme une opportunité inespéré de faire triompher ses idéaux. D'autant plus que de nombreux facteurs favorables sont réunis. Des élections générales entraînent la formation d'une Assemblée nationale conservatrice, avec une majorité de députés favorables à une restauration de la monarchie. La plus grande partie des députés monarchistes se tournent vers le prétendant légitime au trône, « Henri V ». Le 8 juin 1871, l'Assemblée abolit les lois bannissant de France les Bourbons. Le comte de Chambord revient alors en France et lance le 5 juillet un manifeste dans lequel il déclare :

« Je ne puis oublier que le droit monarchique est le patrimoine de la nation, ni décliner les devoirs qu'il m'impose envers elle. Ces devoirs, je les remplirai, croyez-en ma parole d'honnête homme et de roi. […] Je suis prêt à tout pour relever mon pays de ses ruines et à reprendre son rang dans le monde ; le seul sacrifice que je ne puis lui faire, c'est celui de mon honneur. […] je ne laisserai pas arracher de mes mains l'étendard d'Henri IV, de François Ieret de Jeanne d'Arc. […] Je l'ai reçu comme un dépôt sacré du vieux roi mon aïeul, mourant en exil ; il a toujours été pour moi inséparable du souvenir de la patrie absente ; il a flotté sur mon berceau, je veux qu'il ombrage ma tombe. »

Pour le prétendant, refuser de renoncer au drapeau blanc, symbole de l'Ancien Régime, est une question de principe. Il ne peut accepter le drapeau tricolore, qui flottait sur le lieu de l'exécution de Louis XVI son aïeul.

 

Une demande irréaliste

Cette annonce provoque un tollé dans les rangs conservateur de l'Assemblée. Même les plus fervents royalistes ne peuvent remettre en cause la légitimité du drapeau tricolore qui a porté fièrement les valeurs de la France notamment lors des glorieuses campagnes napoléoniennes. Cela révèle le fossé entre la vision anachronique du Comte de Chambord façonné par la nostalgie du passé et l'illusion de la restauration d'une monarchie de droit divin et le réel poids historique des valeurs de la Révolution symbolisé par le drapeau tricolore. Ce retour au drapeau blanc est en effet loin d'être anecdotique. Le Comte de Chambord souhaite véritablement faire table rase des idées libérales des Lumières intégrés par la majeure partie de l'élite politique française. Sous l'effet de leur déception, les députés se constituent donc le 31 août 1871 en Assemblée constituante et, votent la première loi constitutionnelle en conférant au chef du pouvoir exécutif, Adolphe Thiers, le titre de président de la République.

 

Le fossoyeur de la monarchie, père de la restauration...républicaine?

Son action a eu les effets contraires de ce qu'il espérait. Imaginant faire imposer ses idées royalistes, politiquement grâce à l'appui des députés conservateurs, et surtout symboliquement par le rétablissement du drapeau blanc, le Comte de Chambord n'a fait que renforcer la tendance républicaine. Pourtant, le sort semble sourire au Comte de Chambord lorsque deux ans plus tard, le 24 mai 1873, les députés retirent leur confiance à Adolphe Thiers et le remplacent à la présidence de la république par le très conservateur maréchal de Mac-Mahon. Après la réconciliation avec la branche d'Orléans, le soutien d'une assemblée favorable à la monarchie et surtout du président de la République conservateur, tout semble réunie pour l'avènement de la monarchie tant souhaitée. Il ne manque plus qu'un vote de pure forme de l'assemblée avant l'intronisation du futur roi. C'était sans compter l'amour inconditionnel du Comte de Chambord pour son « drapeau blanc ». Alors qu'il voyait son rêve se réalisé, le comte de Chambord réitère à Mac Mahon par lettre du 23 octobre 1873 son souhait d'abandonner le drapeau tricolore. C'est ce que l'on appelle « se tirer une balle dans le pied ». Mac Mahon a servi toute sa carrière sous la bannière tricolore. C'est à travers ce drapeau qu'il rencontré tous ses succès et forgé son prestige. L'aveuglement et l'obstination du Comte du Chambord lors de cette « querelle du drapeau » met fin définitivement à toute tentative de Restauration. Alors qu'il se portait en « porte-drapeau » d'un retour à la monarchie, l'ironie du sort fait qu'il apparaît comme celui qui a creusé la tombe de ses idéaux. Pis, il est indirectement responsable à la restauration non pas de la monarchie mais de la république. En effet, après cette épisode Mac Mahon décide de mettre fin à l'instabilité du régime en nommant une commission afin de préparer des lois constitutionnelles qui aboutiront à l'amendement Wallon de 1875. Sans le vouloir, le Comte de Chambord a participer à l'installation et à l'institutionnalisation de la...République. Rendons lui hommage au moins pour cela.

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K
Merci pour cette belle leçon d'histoire. Notre Pays regorge tellement d'histoire.
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