Comment « La dictature » du PIB biaise notre regard sur la bonne (ou mauvaise) santé de nos sociétés

Publié le par Yassine K.

En ces temps de marasme économique mondial, un terme inonde le débat public pour analyser la crise : la croissance. Abondamment relayé par les médias, l'indicateur de croissance économique, ou autrement dit les variations du PIB, demeure l'indicateur central sur lequel on mesure la situation d'un pays. Les sociétés développés fondent de même à partir de celui -ci leurs jugements de progrès ou leurs inquiétudes face à l'avenir. Pourquoi une telle « domination »? La croissance apparaît en effet aujourd'hui comme un facteur incontournable pour rendre compte de la situation de l'emploi ou de la soutenabilité des finances publiques. Est seulement pour cette raison? Nous aurons l'occasion d'y revenir.

 

 

Avant cela, qu'entend-on au juste par PIB? Qu'est ce que montre cet indicateur en réalité? Il est défini comme la valeur totale de la production interne de biens et services dans un pays donné au cours d'une année donnée par les agents résidant à l’intérieur du territoire national. De manière simplifiée, tout ce qui a une valeur monétaire (biens et services qui se vendent) permet de faire gonfler le PIB et ce même sans que cela ait un impact positif sur le bien être individuel et collectif. Nous sommes ici au cœur du problème.

Par conséquent, nous pouvons supposer que toutes activités ou ressources qui n'ont pas de valeur marchande mais qui contribuent au bien-être individuel ou collectif ne sont pas comptabilisés. Prenons l'exemple du bénévolat. Cette activité non rémunérée n'a par définition aucun impact sur le PIB. On pourrait donc en déduire (si l'on se place dans le prisme d'impératif de croissance) que cette activité n'est d'aucun intérêt pour la santé économique du pays. Or c'est parce qu'elle est gratuite qu'elle est est indispensable au fonctionnement des associations qui participent au bien-être des citoyens. Ceci met en lumière les limites de cet indicateur.

De même, cet indicateur ne prend pas en compte le « coût » de la croissance (c'est à dire les externalités négatives qu'elle entraîne). La récente polémique au sujet d'une extraction éventuelle du gaz de schiste en France illustre bien ce phénomène. Cette activité serait bénéfique pour le PIB. En outre, de nouvelles « richesses » seront produites et de nouveaux emplois seront créés. Mais la destruction du milieu naturel qui en résultera, les conséquences sur le climat, et la beauté esthétique du paysage seront bafoués et occultés par une telle vison étroite à court terme.

Par ailleurs, le PIB occulte la répartition de la « richesse » produite. A qui profite la croissance? Est-elle également distribué? Suffit-elle qu'elle soit à deux chiffres pour que la société soit satisfaite (Cf. Chine)? Cette croissance peut s'accompagner d'un creusement des inégalités. Le PIB ne prend donc pas en compte le principe de « cohésion sociale » pourtant essentiel à une société. Autant de considérations qui montrent que cet indicateur n'est pas suffisant pour déterminer les préoccupations des sociétés.

 

Face à ces critiques, pourquoi les économistes et les statisticiens consacrent leurs compétences à la mesure du PIB? Pourquoi l'impératif de « croissance », de « compétitivité » apparaisse dans les médias et dans les débats publiques comme le fondement du progrès? En réalité, le fait que le PIB soit autant diffusé, médiatisés et donc influent est le produit de conventionspolitiques et de système de valeurs. En effet, le PIB demeure omniprésent dans l'analyse car il a été politiquement sélectionnéau terme de rapports de forces entre les économistes, les décideurs publiques et les statisticiens depuis les années 1980. Il traduit les objectifs politiques et la hiérarchie des valeurs établie par le tournant néolibéral. Comment ne pas légitimer une politique de rigueur quand notre analyse se fonde sur le prisme d'une prévision de croissance de 1,5% alors que le niveau des dettes publiques demeure élevé? Cet exemple illustre le fait que le PIB n'est pas un reflet neutre des phénomènes qu'il prétend mettre en lumière. Au contraire, il structure nos valeurs, nos jugements, notre vision du monde. Comment ne pas être sensible à la thématique du « travailler plus pour gagner plus » si les impératifs de productivité et de compétitivité sont conformes au modèle de société mis en place? Nous sommes contraints d'adopter ces valeurs car notre vison du monde est excessivement focalisée sur la santé économique.

 

 

Cette « dictature » explique pourquoi depuis les années 1970, émerge de manière progressive une contestation de l' « hégémonie du PIB comme symbole de réussite ». Contestation d'ordre sociale tout d'abord (la croissance ne s'accompagne pas forcément d'un progrès sociale) suivie d'une contestation d'ordre environnementale ( la croissance s'accompagne dans de nombreux cas à l'altération de l'environnement). On remarque une réelle volonté de proposer d'autres grilles de lecture sur le progrès (ou non) de la société. Ceci marque le début d'une véritable institutionnalisation d'indicateurs alternatifs censés être plus pertinent pour l'analyse de la société que l'omniprésent PIB. En premier lieu, d'autres critères autres qu'économiques sont mis en avant par ces indicateurs pour juger de la bonne « santé » d'une société. En second lieu, la majorité d'entre eux mettent en lumière des impératifs « humains et sociaux ». Ceci révèle une certaine rupture dans la hiérarchie des valeurs mis en place par le PIB. Les préoccupations ne sont plus focalisés sur les impératifs de croissance ou de compétitivité mais sur le « bien-être », la « santé sociale » ou encore la « qualité de vie ». Ces indicateurs incitent par conséquent à de nouveaux « modes » de développement plus adaptés aux valeurs et visons nouvelles des individus. Faisons un tableau (non exhaustif) de ces nouveaux indicateurs.

 

Les indicateurs du PNUD

Le programme des Nations-Unies pour le développement publie depuis 1990 un rapport annuel sur le développement humains dans le monde à travers divers indicateurs. Le plus connu est l'IDH (ou indice de développement humain). Il s'agit de la moyenne de trois indicateurs, le PIB par habitant, l'espérance de vie à la naissance et le niveau d'instruction, permettant de classer le pays sur une échelle de 0 à 1. L'ISDH (ou indicateur sexo-spécifique de développement humain) permet d'évaluer les différences de situation entre les hommes et les femmes dans une société donnée. L'IPH (ou indicateur des pauvretés humaines) signale l'exclusion d'une partie de la population dans une société donnée. L' IPF est quant à lui l'indicateur de participation des femmes à la vie économique d'un pays. Tout ces indicateurs offrent un nouvel angle d'analyse sur le degré de « progrès » d'une société. Quels résultats pouvons nous en tirer? On se rend compte que ce ne sont pas les plus pays les plus riches en terme de PIB (E.-U., Chine, Japon, Allemagne, France...) qui sont les mieux classé avec ces nouveaux indicateurs. Les performances « sociales » sont ici mises en avant et ce sont les Pays nordiques qui tirent leur épingles du jeu.

 

Les indicateurs sociaux

Commençons par évoquer « l'indice de santé sociale » mis au point par Marc et Marque-Luisa Miringoff dans la seconde moitié des années 1980.

L'intérêt de cet indicateur est de montrer une vision globale des problèmes sociaux et de mettre en relief la dynamique des tendances sociales. Si l'on compare pour un même pays donné les évolutions du PIB et de l'ISS au cours du temps on s rend compte que l'on abouti à de réalités différentes.

Le BIP 40 crée par le RAI (réseau d'alerte des inégalités) désire de même mettre en lumière l'importance de la santé sociale au détriment des indices boursiers ou du PIB. Cette indicateurs retient 6 dimensions principales: l'emploi, le revenu, la santé, l'éducation, le logement et la justice.

L'indice de sécurité personnelle mis au point par le Canadian on social development dans les années 1990 s'intéresse aux problématiques de « sécurité » devenus majeures dans la perception du bien-être des individus dans un contexte où l'avenir apparaît incertain et menaçant. Il s'intéresse à la sécurité économique ( c'est-à-dire la sécurité de l'emploi et financière), la sécurité devant la santé (face aux risques de maladies ) et la sécurité physique (face à la délinquance).

 

Les indicateurs environnementaux

Le « PIB vert » ou l'IBED 'indice de bien-être économique durable) déalisé par C.Cobb et J. Cobb ont énoncé le concept de « dépense défensive ». Ces auteurs mettent en avant qu'il ne faut pas compter comme contribution à la « richesse » (selon le PIB) les dépenses qui servent essentiellement à réparer les « dégâts » ou les « dommages collatéraux » de notre modèle de croissance et de nos modes de vie.

D'autres indicateurs comme « l'empreinte écologique crée par la WWF insiste sur l'importance des données environnementales lors de l'analyse de la situation d'un pays.

 

 

Certes le PIB demeure pertinent comme mesure « brute » des flux économiques. Nous en avons besoin pour certaines analyses notamment celles qui portent sur l'emploi. Mais devons nous lui accorder le monopole de l'analyse des sociétés? Peut accepter une telle « domination »? La conception de l'économie de Walras « exempts de toutes considérations éthiques » demeure t-elle pertinente? La floraison de nouveaux indicateurs alternatifs témoigne d'une volonté de légitimation d'un nouveau système de valeurs, d'une nouvelle vison du « progrès » et de la « richesse ».

Publié dans Economie

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